Louis Pauwels est un écrivain injustement méconnu & incompris, un penseur à (re)découvrir, un homme d’intelligence & de sagesse, que j’admire même si je ne suis parfois pas de son avis… Comme tout vrai penseur, il fut curieux de tout, avide d’en apprendre le plus possible sur tout & anticonformiste… donc, très critiqué ! Il eut néanmoins le courage de rester toujours fidèle à lui-même.
A mon avis, ne pourront lire – & surtout comprendre – ce qui suit que les penseurs ( = ayant pensé contre eux-mêmes), les pieux ( = les tolérants) et les sages ( = les accepteurs du réel) ; les autres vont détester !
Je posterai des extraits de 3 de ses (chefs d’)oeuvres – dont voici la 1ère partie :
Extraits de « Le Droit de Parler » (Albin Michel, 1981)
-Citation de Nietzsche : « Autour de tout esprit profond, grandit et se développe sans cesse un masque,grâce à l’interprétation toujours fausse, c’est-à-dire plate, de chacune de ses paroles, de chacune de ses démarches, du moindre signe de vie qu’il donne ».
-Montherlant (…), note que les qualités fondamentales pour la recherche du bonheur sont l’intelligence et la volonté. … Qu’il faille conquérir par soi-même le bonheur, et qu’on le conquière par l’esprit et le caractère, est une opinion mal reçue aujourd’hui. C’est une opinion mal reçue parce qu’elle implique une morale individuelle, et une morale individuelle orientée vers la qualité de l’être. … Qu’il faille conquérir par soi-même le bonheur, est le fondement de l’éthique.
-Mais je pense qu’une certaine indifférence au train et aux batailles du monde est une condition de la liberté.
– … Montherlant disait aussi : « la décadence, c’est quand on n’ose plus appeler la bêtise par son nom »… La faculté de voir les choses comme elles sont est le noyau de la sagesse.
-Ce messianisme et ce catastrophisme induisent dans la mentalité occidentale les ferments de la décomposition. Ces ferments sont l’espérance du barbare et du tyran.
– … toutes les attaques dont l’Occident est aujourd’hui l’objet dans le reste du monde se font justement au nom des valeurs introduites par l’Occident.
– Toutes les idéologies contemporaines sont, en définitives, des idéologies de la mort de l’homme. … La pollution idéologique (l’homme n’a pas de sens, cette vie ne vaut pas d’être vécue, le monde est foutu) a engendré le déclin démographique par sinistrose. Et ce déclin entraînera l’Occident … vers la décadence et l’asservissement.
-Mais l’affaire des mass média n’est pas de communiquer de la vérité, il (sic) est de communiquer de la sensation. Et il n’y a sensation que s’il y a tragédie.
-« Sur la route, nous aurons des difficultés. On les résoudra. Nous aurons sans doute des souffrances. On les supportera. Nous risquerons gros : on prend le risque. »
-Tout messianisme de fin des temps, de Jugement dernier ou de monde parfait me paraît ressortir des maladies de l’esprit.
-Introduire en politique l’idée que les masses sont douées d’une conscience et d’une volonté supérieures est une imposture. (…) les masses sont sans conscience et sans volonté. On le mène comme on veut et quand on le veut, jamais par la raison, toujours par la grossièreté des instincts et le simplisme des sentiments. Car les masses ne sont pas des additions d’intelligence mais des accumulations de médiocrité. … Elles n’écoutent pas la raison. Elles veulent des promesses, et les moins réalisables ont leur préférence.
-Et, dès qu’une croyance s’est fixée dans l’âme primitive des foules, son absurdité n’apparaît plus, nulle raison ne l’atteint plus.
– Toute forme de pouvoir est diabolique, tout ordre est mortel, et l’Etat, quel que soit le régime, est le mal absolu.
-La liberté est indissociable de la volonté. Et celle-ci ne saurait s’épanouir que dans le cadre d’institutions culturelles qui impliquent discipline et hiérarchie. Il n’y a pas d’hommes libres dans une cité sans lois.
-Ces lois, aujourd’hui universellement établies, révèlent qu’il y a des invariances dans l’hérédité (..) et qu’enfin, le cocktail génétique formé lors de la conception détermine la quasi-totalité de l’individu.
– … il n’est ni caractère, ni âme, ni intelligence de plein vent dans la conformité.
-Ce sont l’ignorance, la fermeture d’esprit et la bassesse de coeur qui engendrent l’ingratitude.
-L’apprentissage de la sérénité, c’est celui d’un certain détachement de soi. Il s’agit de rejoindre en soi un centre qui n’a pas partie liée avec les événements de la personne …
-Une grande partie de notre destinée, sinon le plus grande, est liée à notre nature héritée. Voilà le fond de l’injustice : l’inégalité de l’énergie vitale en chacun de nous.
-Toutes les idéologies contemporaines sont des réductionnismes bourgeois ou révolutionnaires. Elles impliquent toutes … une possibilité d’agir sur l’homme d’une manière quasi mécanique pour le transformer,
le juguler, le normaliser. (…) En conséquence des réductionnismes …, la pensée contemporaine est embarquée dans la revendication égalitaire. Schématisons … Si tout homme en vaut un autre, quel qu’il soit, personne ne vaut rien. Si toute pensée, quelle qu’elle soit, en vaut une autre, aucune pensée ne vaut rien. Vous avez là les justifications de n’importe quelle forme de totalitarisme. … Comment cette égalité devant Dieu – idée noble, défendable – s’est-elle peu à peu transformée en égalité de droit, puis enfin en identité des natures et en identité de destins ?
-Les choses contre lesquelles nous ne pouvons rien, faisons en sorte qu’elles ne puissent rien contre nous. C’est le b-a ba de toute morale un peu relevée, le minimum de toute conduite un peu digne.
-Montherlant remarque que les débiles ont toujours un pressant besoin d’idées nettes.
-Mon ami Bergier, (…), se bardait de devises, dont celle-ci : « Qui n’a pas tout dit ne méritait pas la parole. »
-En réalité, les chômages ont leur cause dans les incohérences et dans un profond changement. Et enfin, le problème n’est pas de rétablir le plein emploi, qui n’a d’ailleurs jamais existé. Il est de commencer à organiser le non-emploi.
– C’est une douleur de vivre une époque dont on ne saisit pas les transformations profondes. Certes, il est nécessaire de secourir les victimes de ces transformations. Mais il y a une autre nécessité : faire comprendre au plus grand nombre la nature des changements qui s’opèrent.
– Les sociétés d’Ouest comme d’Est sont fondées sur l’assujettissement des hommes au labeur. (…) Cependant, émancipés de l’esclavage du salaire-pour-vivre … les hommes ne seraient plus contraints, comme les « travailleurs », d’adhérer à des partis de masses pour protéger leurs droits, et ainsi de sacrifier leur individualité à leur sécurité.
-L’information suppose un certain degré de formation chez celui qui la reçoit. L’information des non-formés porte un triste nom : la manipulation.
-Qui flatte l’ignorance, augmente la faiblesse. … les faibles ont des problèmes, les forts ont des solutions.
– De la sinistrose jointe au confort égoïste, les arts décomposés, les lois contestées et une absence de manières : voilà notre débâcle. (…) Le type d’homme aujourd’hui le plus répandu, c’est le décivilisé. … Quelqu’un de bas, de vide, et de furieux, entre le décadent et le barbare. Il ne vaut rien. Il le reconnaît lui-même, avec un mélange de haine du monde et d’extrême compassion pour soi. (…) « Puisque je suis bas, que tout soit abaissé. Puisque je suis la vacuité, que toute valeur soit vidée de sens. Puisque je ne vaux rien, il faut que rien ne vaille. Et j’exige que personne ne vaille plus que moi. »
-L’harmonie veut à chacun sa place et sa part, pour produire la beauté.
-Le véritable partage s’opère maintenant entre les esprits que le changement .. contracte, et ceux que ce changement rend plus agiles. Plus la marche du temps contredit les premiers, plus ils se piègent dans leurs illusions, durcissent leur erreur, répètent leur discours. « Si ça ne marche pas, c’est la faute aux méchants. » Les seconds disent : « Si ça ne marche pas, pensons autrement et faisons autre chose ». Les uns cherchent des coupables. Les autres, des solutions.
-Il viendra un jour où, pour élever un enfant, on devra le préserver de l’école.
-Nous savons aussi qu’être affamé de mode est signe certain de barbarie.
– Il n’est meilleur commerce que de vendre aux pauvres et aux ingénus, parce que leur faiblesse les fait grégaires, et qu’ils ne peuvent ni ne savent choisir.
– Encouragée par les foudroyants progrès de la jobardise et de l’inculture, une nouvelle barbarie déferle et ravage la mémoire de Rome. Ce qui achève, dans les esprits, de ruiner le passé, achève de déshériter l’avenir.
-Le marxisme est une religion. Il se prétend une science comme le loup se disait grand-mère. Cependant, il tire sa force essentielle d’être vécu comme une religion…
-Si les religions sont parfois ce qu’il y a de plus cruel au monde, la religion politique est, de toutes, la plus cruelle.
-Mais il ne suffit pas qu’un sentiment devienne général pour qu’il devienne la vérité. Je rêve d’une information courageuse. D’une information qui mettrait le nez des gens sur le réel. Elle serait impopulaire, bien entendu. Quelle vertu ! C’est le signe qu’on dit vrai. Le public tient aux idées reçues, surtout aux hypocrites.
– Qui osera dire : il n’est aucune qualité de vie sans qualité des êtres ?
– Quand le climat des idées devient désertique, il faut faire pleuvoir des vérités premières.
-Votre caractère et vos facultés sont hérités. Dans nos gènes réside la majeure partie de notre individualité. Voilà l’opinion scientifique. (…) Les gens de gauche refusent cette opinion. C’est le social qui explique et fait tout l’homme.
– Qu’il existe des hommes exceptionnels ou, plus simplement, des hommes plus ou moins doués, cela est devenu insupportable aux préposés de la morale publique. (…) l’ignorance et le fanatisme égalitaire ont beaucoup progressé en France.
-L’hérédité est déterminante, disent les premiers. Non, répliquent les autres, c’est l’environnement qui fait les êtres. Je croirai ceux-ci quand un percheron élevé à Chantilly aura gagné le prix de Diane… c’est moins l’hérédité qui gêne que l’accent mis sur l’intelligence. (…) On en nie l’existence, on en réfute les mesures. C’est en effet l’intelligence qui partage le plus cruellement les hommes. Et l’on veut que nous haïssions les différences. La vertu consisterait à les humaniser. Et le courage à oser dire que ce sont les plus intelligents qui ont le plus de bonté. Et que c’est avec la bêtise que marche la méchanceté.
– … toute vérité naît en perçant la couche de l’illusion commune …
-La dénaturation du langage est l’arme principale de la désinformation.
-Les prophètes de 1789 … avaient formulé les droits et les devoirs du citoyen, dans une nation et un Etat souverains qui exigeaient civisme et patriotisme. (…) Nous avons pour article de foi qu’il existe des droits « naturels » de l’individu … Et que les sociétés sont seulement chargées de garantir la liberté et le confort des individus, quels qu’ils soient, quoi qu’ils fassent. Voilà le nouvel Evangile. Pratiquez-le, et vous sentirez bientôt que tout ce qui oblige l’individu à se conduire en citoyen est contraire au droits de l’homme.
– … le changement fut abaissement et l’égalité, uniformisation dans l’inférieur. Mais il est anarchique, et donc suicidaire, … d’ignorer les différences d’aptitude. … De nier l’existence de forts et de faibles…. Quand l’égalité devient une injustice faite aux capables, … on est en présence, non d’une générosité, mais d’une perversion de l’esprit démocratique. (…) L’excès d’égalité retire leurs chances aux meilleurs du petit peuple.
-J’appris sur le vif qu‘il est interdit, sous peine de haine, de se distinguer, et que l’égalité tient sur deux jambes dont l’une se nomme peur et l’autre jalousie.
-Tout racisme est une absurdité. Tout crime raciste, une abomination.
– Si l’on déclare : « Je suis anti-égalitaire », on laisse supposer que l’on souhaite que des hommes soient supérieurs à d’autres, … Or, ce n’est pas du tout cela. … « Contre l’indifférenciation et l’uniformisation des hommes. »
– … que l’humanité doive ses progrès et son histoire à un petit nombre, cela est vrai. Qu’aucune société ne puisse vivre, se maintenir, prospérer sans l’exemple des meilleurs et l’oeuvre des plus capables, cela est vrai aussi.
-On invente un fascisme. C’est plus facile qu’inventer une réponse aux vrais problèmes. (…) La méthode consiste à jouer, non pas sur ce qui est dit, mais sur le non-dit, que l’on suppose affreux. … C’est une méthode proprement totalitaire. (…) A partir du moment où vous n’êtes plus jugé sur ce que vous êtes et ce que vous dites, mais sur le masque qu’on vous a mis et sur les propos que vous n’avez pas tenus, où est le dialogue ? Et la fin du dialogue, c’est la mort de l’esprit.
– …je continue de penser que contre la peur, il n’est qu’un seul remède : le courage.
-Ce détournement de l’attention d’un peuple mériterait une analyse. C’est un remarquable épisode de la guerre psychologique dont l’arme est la désinformation.
– Il faut un jour convenir que les belles illusions font les dures déceptions.
– Hélas, l’histoire des révolutions nous a enseigné que lorsque les riches sont devenus pauvres, les pauvres ne sont pas plus riches. On a seulement changé de personnel dans les commissariats.
-Les illusions n’aident pas à vivre, comme on dit. Elles aident à se tromper.
– … par la phobie de la sélection, on s’emploie à compromettre les chances des plus capables. … la bigoterie de l’égalité. C’est ainsi que, sous peine du crime d’élitisme, il est interdit en France de créer des classes pour enfants très doués. Les cagots interdisent même de tenir ces enfants pour tels.
– Il y a une religion triomphante en Occident, c’est la religion égalitaire. Vous pouvez douter du Christ et blasphémer Dieu. Mais oseriez-vous proclamer publiquement : « Je suis contre l’égalité »? Vous seriez au ban de la société. Que dis-je ! De l’humanité. (…) Que promettent-ils ? De « réduire les inégalités. » Fort bien. Mais les réduire jusqu’où ? Pour parvenir à quoi ? Y a-t-il une limite ? J’en ai interrogé beaucoup et jamais n’ai obtenu de réponse.
-La gauche … dénonce notre société comme « foncièrement inégalitaire », donc mauvaise. Qu’est-ce donc qu’une bonne société ? Une société intégralement égalitaire ? … Et, chose curieuse, si la droite et la gauche professent que l’inégalité est un mal, personne ne prend la responsabilité d’une définition de la société égalitaire. … Il serait donc temps d’y voir clair. Si l’on hait les inégalités, c’est que l’on adore et que l’on désire l’égalité. Comment l’établir ? Il faut en finir avec la société de libre concurrence, je ne vois nul autre moyen. …Si l’on veut l’égalité, il faut l’étatisation générale. … La social-démocratie absolue assure aux hommes l’égalité des revenus et des modes de vie, la sécurité et l’irresponsabilité. … Si tel est le paradis, qu’on me le dise. (…) Qu’y a-t-il au fond de cette passion ? Approfondissez. Vous trouverez une lamentation menteuse sur soi et la jalousie du voisin. Le sentiment égalitaire contient très peu de solidarité. Il est fait, pour chacun, d’égoïsme, de ressentiment et de malveillance. Voilà la vérité. Qu’est-ce que cette grande utopie ? Le moyen de prêter un « supplément d’âme » à des mobiles sordides.
-Les pouvoirs publics encouragent la passion égalitaire : celle-ci les renforce en réclamant une administration toujours plus étendue et contraignante. C’est une conspiration qui préfère des égaux en prison à des inégaux en liberté.
Il est temps de dire que l’égalitarisme, basse passion d’une époque basse, ne va ni avec la liberté, ni avec la justice. Car il y a un moment où l’égalité devient une injustice faite aux meilleurs. (..) Il est temps de dire que l’égalitarisme conduit à l’abandon de toute morale, parce qu’il est un abandon de toute valeur. Qu’est-ce que l’inégalité ? C’est un jugement de valeur porté sur une différence. Il est mieux d’être courageux que paresseux, honnête que malhonnête. L’égalitarisme pousse dans une société où toutes les valeurs se sont décomposées. Quand la question se pose : que faut-il punir ? Que faut-il récompenser ? L’attitude la plus lâche est de refuser le choix. Tout se vaut. L’assassin vaut la victime, le crétin vaut le génie, l’incapable vaut le capable. … Or, si tout égale tout, rien ne vaut rien. Voilà la fleur de l’égalité ; son parfum tue.
Il est temps de dire enfin : s’opposer à l’égalitarisme est légitime, parce qu’il est vital de donner des valeurs à des différences. (…) Les inégalités dépendent des valeurs qu’une société attribue à toutes sortes de qualités personnelles et sociales. Mais une société qui, sous prétexte de passion égalitaire, refuse de se donner des valeurs, ne se donne pas une seule chance de survie.