J’aime autant l’Histoire que les histoires étonnantes & amusantes. Et je trouve que le parcours de cet homme du XVIIIème siècle fait réfléchir sur la fortune … Voyez plutôt ;
Il est né à Malden, une petite ville du Massachusetts, en 1748, dans une famille d’ouvriers agricoles pauvres.
Dès tout petit – & alors qu’il avait une faible intelligence – il était ambitieux & sûr qu’un jour, il serait riche.
Mais il savait que pour ça, vu la modeste situation de sa famille, il devrait se bouger.
A 8 ans, il décide donc de quitter les bancs de l’école pour aller travailler – d’abord dans une ferme, puis dans une tannerie de cuir.
Il trima ainsi pendant une dizaine d’années, finissant par gagner plus que ce que gagnait sa famille, mais il était toujours loin d’être riche et se rendait compte que ce qu’il faisait ne l’y mènerait pas.
Alors, il vendit son beau costume & employa l’argent de la vente pour déménager dans une autre ville qui lui semblait offrir des perspectives plus prometteuses ; Newburyport.
Là, il devint rapidement riche, mais pas en travaillant ; il rencontra une riche veuve & l’épousa.
A partir de là, il demande à se faire appeler Lord Timothy Dexter.
Mais comme il s’ennuyait à ne rien faire, il décida de se lancer en politique. Il ne se fit hélas pas élire parce qu’il était quasiment illettré.
N’acceptant pas sa défaite, il se mit à inonder les autorités de la ville de pétitions – à peine lisibles, car truffées de fautes d’orthographe.
A la fin, excédées par ses demandes, les autorités décidèrent de lui donner un faux titre politique ; celui d’« informateur de cerfs » – il s’agissait de surveiller & de faire un rapport sur tout signe d’activité de ces animaux dans la ville – et ce, alors qu’il n’y avait aucun cerf dans la zone.
C’était pour se débarrasser de son harcèlement et bien entendu aussi pour se ficher de lui.
Mais Timothy prit ce « job » au sérieux & se mit à parcourir sans cesse la ville dans ses moindres recoins, en consignant l’activité (nulle, en fait) des cerfs.
A la fin de son mandat, Timothy estimait avoir bien bossé & alla rendre fièrement son journal de bord – rempli de divagations sur les cerfs – aux autorités de la ville, pour être remis, avec toutes les « informations très intéressantes » qu’il contenait, au prochain informateur de cerfs.
D’abord, il n’y avait évidemment pas de successeur à ce poste de fantaisie & ensuite, son journal était tellement truffé de fautes que personne ne put déchiffrer ce qu’il y avait noté !
Peu après commença la guerre d’indépendance (pour se libérer de la tutelle de l’Angleterre) & l’Amérique commença à imprimer sa propre monnaie pour payer ses troupes.
Seulement, cette monnaie, au lieu d’être, comme les autres, garantie par de l’or ou de l’argent, n’était garantie par rien … à part la promesse d’une valeur future – très hypothétique à ce moment-là, car cela dépendait de la victoire des Américains, & on ignorait s’ils seraient vainqueurs.
Ce doute & le fait qu’il y en avait trop en circulation (ce qui généra une forte inflation) rendirent ce dollar sans valeur.
Les gens riches de Newburyport les rachetaient à une fraction de leur valeur – c’était un geste de bonté, pour aider les soldats à survivre.
Timothy fit pareil – mais lui, pas dans un but philanthropique ; juste parce qu’il voyait cela comme un bon investissement ; il était persuadé que les Américains gagneraient la guerre & qu’alors, ce dollar prendrait de la valeur.
Il investit donc tout son argent dans ce dollar – bien que personne d’autre que lui ne croie que cette monnaie vaudrait un jour quelque chose..
Mais les faits lui donnèrent raison ; l’Amérique gagna la guerre, le dollar fut garanti par les autorités et prit énormément de valeur – et donc, Timothy devint très très riche.
Il s’acheta alors une grande propriété dans le quartier le plus huppé de la ville & commanda pour son jardin 40 statues en bois d’hommes célèbres – dont une de lui-même, portant, sur le piédestal l’inscription : « Le 1er à l’Est, le 1er à l’Ouest, & le plus grand philosophe du monde occidental » – rien que ça !
Le piédestal de ces statues portait une inscription avec le nom de l’homme célèbre & ce qu’il avait accompli – mais Timothy qui, comme tous les crétins, avait une haute idée de son savoir & de son intelligence, en fit changer plusieurs, pour mettre des sottises à la place. Une fois de plus comme les « ânes », il était persuadé qu’il avait toujours raison et n’écouta pas ceux qui lui firent remarquer que c’était erroné.
Irrités par sa prétention, les gens riches de la ville décidèrent de profiter de sa bêtise pour lui conseiller des investissements foireux, où il se ruinerait.
D’abord, ils lui conseillèrent d’envoyer des bassinoires aux Caraïbes. Ces ustensiles pour chauffer les lits étaient utiles dans sa région, où il faisait froid, mais évidemment pas aux Caraïbes, où il fait chaud.
Timothy trouva cette idée très bonne, affréta 2 bateaux, acheta un lot de bassinoires & les envoya aux Caraïbes.
Les bourgeois de Newburyport se frottaient les mains ; là, c’était le flop assuré !
Seulement, les habitants des Caraïbes, qui n’avaient jamais vus de bassinoires, leur trouvèrent un usage ; ils constatèrent qu’elles faisaient d’excellentes louches pour la mélasse – en sorte que tout son lot se vendit à un bon prix & que Timothy devint encore plus riche.
Déterminés à sa perte, les bourgeois lui conseillèrent un autre « bon placement » ; envoyer du charbon à Newcastle, en Angleterre. Il faut savoir que cette ville est la capitale mondiale de la production de charbon – c’est dire qu’on n’y manque jamais de charbon !
Trouvant – dans son ignorance – l’idée excellente, Timothy remplit donc ses navires de charbon & envoya ce chargement à Newcastle.
Les bourgeois de Newburyport étaient sûrs que cette fois, leur plan allait marcher & que Timothy perdrait tout.
Mais juste à ce moment, les mineurs étaient en grève, en sorte que Newcastle manquait de charbon … Tout son chargement se vendit & il fit d’immenses bénéfices une fois de plus.
Les aristos du coin se réunirent une fois de plus pour concocter un plan assuré de faire sombrer la fortune de notre héros. Ils le firent venir & lui conseillèrent d’acheter tous les os de baleine qu’il pourrait trouver, pensant que cette « marchandise » ne trouverait aucun client.
Mais à cette époque, les corsets pour hommes devinrent à la mode & ils nécessitaient des os de baleines … Bref, comme les 2 autres fois, Timothy suivit leur conseil & s’en trouva bien !
Après cela, il se considéra comme un investisseur génial, capable de dénicher tout seul les bonnes affaires. Après avoir réfléchi, il se rendit à la fourrière de la ville & acheta tous les chats errants – que la ville avait l’intention de tuer.
Ces chats étaient sauvages & galeux, mais, dans son délire, Timothy pensait qu’ils feraient de parfaits animaux de compagnie pour les Caraïbes & les envoya donc là-bas …
Il doit y avoir un dieu pour ces imbéciles, car il se trouve que les Caraïbes étaient envahies de rats & de souris qui infestaient les entrepôts, détruisant les stocks de nourriture – et donc, ces chats étaient une vraie manne céleste pour les habitants et ils se vendirent comme des petits pains.
Une fois encore, Timothy réussit à s’enrichir à partir d’une idée complètement loufoque !
A ce moment, Timothy se demanda quel souvenir les habitants de Newburyport garderaient de lui après sa mort et pour le savoir, il simula sa mort … Il put alors constater que sa femme, au lieu de pleurer, s’en réjouissait et à partir de là, il l’ignora. Quand elle arrivait dans une pièce, il disait que ce n’était pas elle, mais son fantôme.
Quand il avait des visiteurs, il leur ordonnait de la traiter comme un fantôme et vu qu’il était très riche, les gens lui obéirent …
Plus tard, il publia un livre nommé « A pickle for the knowing ones » (qu’on pourrait traduire par : « une pénible situation pour ceux qui savent »), & le contenu (24 pages de divagations incompréhensibles) était encore plus mystérieux que le titre & ne contenait aucune ponctuation.
Tous les exemplaires se vendirent pourtant en peu de temps et, comme les lecteurs signalaient le manque de ponctuation, Timothy publia une 2ème édition, toute pareille à la 1ère, mais avec en plus, tout à la fin, une page avec 13 lignes de signes de ponctuation & la mention « saupoudrez-les à votre guise ».
Il mourut – pour de bon, cette fois – en 1806.