Amour, plâtre & belle terrasse

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couple mensonge(Extrait de « La prière aux Etoiles » de Marcel Pagnol)

Florence, sur un grand amour, on peut bâtir un grand bonheur. Mais quand on bâtit, il faut creuser jusqu’au rocher. Autrefois, j’ai eu un ami : c’était un maçon. J’avais douze ans et un jour, à la campagne, je le regardais travailler.

Il faisait une terrasse, devant une haute villa.

Il fallait d’abord niveler le sol – et pour combler les trous, le manœuvre apportait des brouettes de décombres, qui venaient d’une maison démolie.

Mais ces décombres, avant de les enfouir dans le sol, il les regardait l’un après l’autre, il les triait, comme la bonne de l’hôtel, l’autre jour, quand elle triait les lentilles.

Il y avait des morceaux de brique, des pierres, des petits blocs de ciment, et il y avait de petites mottes de plâtre.

Le plâtre, il le jetait, il ne s’en servait pas. Et il me dit : « le plâtre, c’est pas bon, parce que ça prend l’humidité avec une force terrible. Tu vois, tu fais une belle terrasse avec le ciment le plus rapide et le plus dur. Si dans le remplissage du dessous, tu as laissé passer un seul morceau de plâtre, même qu’il ne soit pas plus gros qu’une amande, ce petit bastard va travailler, et il te mangera la santé du ciment.

Oh, il faudra des jours et des mois, et même parfois des années ; mais ce plâtre est là, sous le ciment dur. Il prend l’humidité qui est autour, et il s’en imbibe, et il se gonfle. Et un matin, sur la belle terrasse, tu verras une grande raie creuse, qui sera pleine d’herbe au printemps. Voilà ce que c’est que le plâtre : ça a l’air mou, mais c’est méchant. »

Florence, ce n’est pas plus méchant que les mensonges d’amour. Je t’aime, tu m’aimes. Un grand amour, ça se bâtit sur un terrain solide comme une terrasse. Mais au départ, il faut tout de suite jeter les morceaux de plâtre, c’est-à-dire les mensonges.

Si, dans un grand amour, il reste un mensonge, une seule chose inavouée, eh bien, ce plâtre va travailler méchamment. Longuement, lentement, sournoisement, il va se gonfler. Et la belle terrasse, d’où l’on voyait le ciel et les arbres, d’où l’on voyait la mer et les petites voiles, la belle terrasse se fend et s’effondre – et le grand amour, comme toutes choses, nourrira de l’herbe et des ronces, parce qu’il sera mort. Tu me comprends ?

 

 

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